MICKAËL – Procès de l’accident le 7 mai à NÎMES (Rassemblement dès 8h30)

« Mardi 6 mars en début d’après-midi, un ouvrier, travaillant sur un chantier de construction d’un immeuble, a chuté de plus de 15 mètres. La victime travaillait sur un balcon lorsqu’elle a chuté. À l’arrivée des secours, le salarié était décédé. »

Voilà en substance les seuls éléments relayés par la presse sur le dramatique accident du travail qui a coûté la vie à Mickaël Beccavin ce mardi 6 mars 2018…

Mickaël avait 38 ans. Il était cordiste depuis près de 13 ans.
Il travaillait depuis 8 ans pour la SARL Sud Acrobatic, située entre Sète et Montpellier. Il était en quelque sorte la cheville ouvrière de cette PME de 3 à 5 salariés.
Juste avant l’accident, il projetait d’arrêter le métier de cordiste pour devenir prof de sport.
Malheureusement, c’est le métier de cordiste qui l’a rattrapé.
Mickaël n’aura pas eu le temps de mener à bien son projet.
Il était papa d’une petite fille, Chloé, âgée de 8 ans au moment de l’accident.

Que s’est-il passé ce jour-là ?
Pourquoi une journée de chantier comme une autre lui a-t-elle coûté la vie ?

Mickaël travaillait sur le chantier du boulevard Natoire à Nîmes, dans le Gard. La construction d’une résidence pour « seniors ». Eiffage y était le maître d’œuvre et avait mandaté la société Ciciarelli pour la pose des fenêtres et des balcons métalliques en façade de l’immeuble. Société Ciciarelli qui sous-traitait elle-même à Sud Acrobatic la pose des balcons. Ça faisait longtemps que le chantier était commencé et qu’il aurait dû être terminé. Bien plus long que ce qui était prévu dans le devis. Après une période d’absence, Mickaël et deux collègues y revenaient pour terminer la pose des balcons.

Juste avant l’accident, Mickaël était suspendu le long de la façade lorsqu’un mauvais balcon a été présenté à l’emplacement où il se trouvait. S’en rendant compte, le grutier a repositionné le balcon au bon endroit. Pour s’y rendre, Mickaël a dû faire une manœuvre précipitée. Il s’est transféré sur une corde qui n’allait pas jusqu’au sol et qui n’avait pas de nœud d’arrêt à l’extrémité. Il n’était alors accroché plus qu’à cette corde. Dès qu’il a entamé la descente, il a fait une chute libre de 15 mètres. Une chute mortelle.

Qu’est-ce que cette corde trop courte et sans nœud d’arrêt faisait là ?
Impossible que Mickaël et ses collègues, tous les trois expérimentés, aient pu la laisser ainsi volontairement. Est ce qu’elle était sur le toit, pas prévue pour s’y suspendre, et accidentellement retombée le long de la façade ? Son extrémité a-t-elle été coupée accidentellement avant que Mickaël ne s’y accroche ? Suivant cette dernière hypothèse, les enquêteurs ont recherché l’extrémité manquante de la corde. Ils ne l’ont jamais retrouvée.

Mais même malgré cette corde trop courte, toute personne qui connaît un minimum le métier de cordiste, sait qu’aujourd’hui le code du travail impose d’être en permanence accroché à deux cordes. Une de travail et une deuxième, au cas où, en sécurité.
Pourquoi Mickaël, malgré son expérience, ne s’est-il pas rattaché à une deuxième corde ?
Corde de sécurité qui, dans ce contexte, lui aurait probablement sauvé la vie.
Mauvaise manipulation due à la précipitation ? Mauvaise habitude de travail ?
La réponse est peut-être aussi à chercher ailleurs que dans la seule responsabilité de Mickaël.
D’une manière générale, on sait que les délais à respecter, les aléas et le fourmillement des chantiers, créent une pression et un environnement dégradé qui peuvent être source d’accidents.

C’est pour cela que les règles de prévention sont ainsi faites qu’elles doivent permettre d’anticiper toute erreur ou défaillance du travailleur en situation dégradée.
C’est, entre autre, la fonction de la deuxième corde.

La disposition du code du travail rendant obligatoire l’utilisation de cette deuxième corde date de 2004. Quatorze ans au moment de l’accident.
Quatorze ans c’est long, mais malheureusement pas assez pour gommer des habitudes à la peau dure que certaines entreprises, encore aujourd’hui, tolèrent voire entretiennent.
Et en la matière, comme sur d’autres notions élémentaires de sécurité au travail, la SARL Sud Acrobatic ne semblait pas vraiment être à la pointe. Nous y reviendrons.

Outre les circonstances immédiates de l’accident, l’inspection du travail a, à juste titre, questionné le choix d’un travail au moyen de cordes dans ce contexte de chantier. Un résumé de l’accident sur la base ÉPICÉA du site de l’INRS en résumera ainsi les causes : « Le travail sur corde depuis plus d’un mois n’était pas la solution la plus appropriée vis-à-vis de la maîtrise des risques de chute de hauteur. »
En clair, pour une telle durée de chantier, l’utilisation d’une nacelle aurait dû être privilégiée par rapport à l’utilisation de cordes (qui sont une protection individuelle).
C’est d’ailleurs dans ce sens et au travers de l’article R4323-64, que le code du travail définit ainsi le strict cadre où peuvent s’exercer les travaux sur cordes : ils sont interdits.
Sauf, si après évaluation des risques, ils s’avèrent moins dangereux que la mise en place de moyens de protection collective, et à la condition qu’ils restent temporaires.
Cette évaluation des risques a-t-elle été menée par les sociétés Eiffage, Ciciarelli et Sud acrobatic ?
Ce n’est pas ce qu’il semble ressortir de l’enquête.
D’autant qu’il n’y avait pas non plus l’ombre d’un plan de prévention (PPSPS).

Pourtant les signaux d’alerte ne manquaient pas chez Sud Acrobatic.
Trois ans avant le décès de Mickaël, c’est Adrien Santoluca qui a failli mourir.
Le 14 septembre 2015, Adrien avait 29 ans. Il travaillait à l’entretien d’un toit en plaques de fibro-ciment (accessoirement amiantées) sur le port de Sète, quand l’une d’elles se brise sous ses pieds. Il passe à travers et fait une chute libre de 10 mètres. Polytraumatisé, il a notamment le bassin en miettes. Opérations, complications, ré-opérations, il fait 5 mois d’hôpital et remarche miraculeusement. Aujourd’hui, il n’est toujours pas remis. Il vit avec des douleurs permanentes qui deviennent parfois paralysantes. Sans compter les batailles administratives et les problèmes financiers qui ajoutent une précarité supplémentaire à son état de santé.
En janvier 2019, le tribunal correctionnel de Montpellier a condamné la société Sud Acrobatic et son représentant légal pour leurs responsabilités dans cet accident : 8000€ d’amende pour Sud Acrobatic et 8 mois de prison avec sursis et 3000€ pour Sébastien Gimard, le patron de la boite.
Ce dernier a immédiatement fait appel.
Et pour cause, entre temps sa société avait été le lieu d’un deuxième accident, mortel cette fois-ci, et pour lequel des manquements similaires étaient soulevés…

Car sur le toit du port de Sète, le 14 septembre 2015, Adrien et son collègue travaillaient sans cordes ni aucun autre moyen de protection contre les chutes de hauteur. C’étaient les consignes de l’employeur !
Régulièrement, Sébastien Gimard est lui-même monté sur le toit sans harnais pour présenter le chantier à Adrien et son collègue. Questionné par l’inspection du travail sur son choix de ne pas mettre en place de protection collective, Sébastien Gimard répondra : « pour quatre plaques à changer et une inspection, la pose de filet est plus chère que tout mon devis ».
La protection prévue, c’était une nacelle du port positionnée à l’intérieur du bâtiment pour réceptionner les travailleurs en cas de chute à travers la toiture !!
Manque de bol, un agent du port l’utilisait ailleurs au moment où Adrien est passé à travers.

Et pourtant, encore…
Un mois avant, Adri’ un troisième salarié de Sud Acrobatic avait failli avoir le même sort qu’Adrien Santoluca…
Dans un entretien (à lire ici), il nous raconte que, début août 2015, il était passé à travers la toiture d’une usine voisine : « J’ai fait le chat, je me suis rattrapé comme j’ai pu. J’ai pu remonter parce qu’il y avait une charpente métallique en dessous du coup j’ai pu remonter sur le toit et voilà. »
Il travaillait aussi sans cordes et sans aucune protection contre les chutes. Il a signalé l’incident à son employeur, mais rien n’a changé, rien n’a été mis en place. Un mois après, l’accident s’est donc reproduit mais cette fois avec moins de chance. Adrien Santoluca, lui n’a pas pu se rattraper…
Et ces travaux n’étaient pas exceptionnels pour Sud Acrobatic. Les interventions de ce type étaient fréquentes sur les toits du port de Sète et sur cette autre usine.

Plus largement, Adri’ nous raconte aussi le quotidien chez Sud Acrobatic. Les consignes de travail, ou plutôt l’absence de consignes, les devis « depuis le bas » sans voir le chantier, les plans de prévention inexistants ou du moins qu’il ne voyait jamais, … et aussi la question de la deuxième corde.
Sud Acrobatic a été la première entreprise pour laquelle Adri’ a travaillé. Il y a fait son stage pendant sa formation de cordiste (CATC), puis a continué à y travailler un long moment. Il raconte le processus qui fait que malgré ce qu’il apprenait en formation, il s’est rapidement conformé aux habitudes ayant cours dans l’entreprise. Habitudes, effet de groupe, mauvais exemple de l’employeur. Lui et ses collègues travaillaient régulièrement sur une seule corde. Il dit avoir très peu utilisé son anti-chute chez Sud Acrobatic. « le patron […] nous parlait du fait que c’est con d’avoir deux cordes, enfin, l’une sur l’autre parce que ça te limite dans ce que tu peux faire avec tes deux cordes et que si tu les espaces un peu, ça te permet de te décaler toi aussi. Sauf qu’à vouloir les décaler tu peux les décaler un peu plus, puis un peu plus… du coup tu te retrouves vite à trianguler avec des angles de connard plutôt que d’avoir 1m, 1m50 entre toi et ta corde de sécu. »
Une deuxième corde qui quand elle était présente, servait à trianguler en étant attachée à un deuxième descendeur et non à un anti-chute. Et ainsi, c’est la notion et la fonction même de corde de sécurité qui disparaissait. Sébastien Gimard lui-même, les fois où il venait renforcer l’équipe, utilisait très rarement une corde sécurité.
Habitude, absence de consigne, mauvais exemple, le processus accidentogène fonctionnait à plein régime.

« Donner les instructions appropriées aux travailleurs »
C’est ce qu’énonce le 9e principe général de prévention dans l’article R4121-2 du Code du Travail.
Mais visiblement ce n’est pas ce dans quoi excellait Sud Acrobatic. Avec un tel passif, avec des habitudes accidentogènes aussi instaurées, et sans mesures fortes de l’employeur pour inverser la situation, un nouvel accident était malheureusement prévisible.
Le point précédent de ce même article stipule : « 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle » .
Que ce soit dans l’accident d’Adrien ou dans le cadre de celui qui a coûté la vie à Mickaël, cet autre point essentiel de prévention n’avait pas été respecté.
En 2019, un an après le décès de Mickaël, Sud Acrobatic faisait appel de sa condamnation pour sa responsabilité dans l’accident d’Adrien survenue en 2015.
Quels enseignements ont été tirés par cette entreprise ?
Quelles mesures ont été prises pour améliorer la sécurité des cordistes ?
Comment se déroulent les chantiers à l’heure actuelle ? C’est bien ce qui est le plus inquiétant.

Sans parler que malheureusement l’exemple de Sud Acrobatic est loin d’être isolé.
Dans nombre de sociétés de travaux sur cordes, la non-utilisation de corde de sécurité est encore aujourd’hui tolérée voire entretenue.
Des pratiques en fait assez banales dans le quotidien des chantier.
Mais tristement accidentogènes dès qu’on se penche sur les accidents.

En 2018, quatre mois après le décès de Mickaël, un autre cordiste, François Chirat, perdait la vie à 54 ans sur un chantier de l’entreprise Garelli, dans les Alpes Maritimes. Une chute mortelle en falaise. François non plus n’était pas attaché à une corde de sécurité. Comme chez Sud Acrobatic, une pratique courante, tolérée, voire entretenue dans l’entreprise Garelli.
Pour l’accident de François, il n’y aura pas de procès. Un non-lieu a été décidé…
Idem pour Jean-Marc Trigance, gravement blessé en 2015, après une chute dans un parc de loisir des Alpes Maritimes. L’employeur donnait pour consigne de ne mettre une deuxième corde qu’en cas d’utilisation d’outils tranchants. Le parquet de Grasse a classé l’affaire sans suite…
Combien de morts encore ? Combien de vies brisées faudra-t-il encore pour en finir avec ces pratiques accidentogènes ?

Un procès le 7 mai 2021
Concernant l’accident de Mickaël, le parquet a décidé de faire juger l’affaire.
Vendredi 7 mai 2021, le tribunal correctionnel de Nîmes jugera donc les sociétés Eiffage, Ciciarelli et Sud Acrobatic pour homicide involontaire et pour leurs responsabilités dans le cadre de l’accident de Mickaël.

En hommage à Mickaël,
pour soutenir ses proches et ses amis,
pour montrer à quel point ce type de drame questionne gravement la sécurité dans notre métier,
soyons présent à Nîmes ce jour-là.

RDV à 8h30 devant le tribunal de Nîmes (boulevard des Arènes)

2 réponses sur “MICKAËL – Procès de l’accident le 7 mai à NÎMES (Rassemblement dès 8h30)”

  1. J’ai arrêté l’élagage ! Écœuré par ces patrons qui n’investissent pas dans le matos , refusent de t’écouter qd tu leur signale hernies ou coupures sur cordes , refusent d’acheter un zigzag ou des mousquetons indus … sans parler de la pression qu’on te fout pour que ça aille vite ! … obligé d’investir soi même dans le matos… sans compter que ces connards se fond grassement payer pour les travaux a risques en hauteur et te paye comme un débutant…. ils sont au moins 70 pourcent comme ça !
    De tout cœur avec sa famille….
    Espérons que le tribunal face un exemple et une jurisprudence

  2. Il semblerait que le plus gros dysfonctionnement dans tout cela soit des non-lieux pour le moins « étranges » suite aux accidents.
    Certes les pratiques sociales entre le nord et le sud de la France peuvent différer, mais là on est en droit de se demander s’il ne vaut pas mieux pour le travailleur acrobatique avoir un accident à Outreau qu’à Marseille pour être sûr d’avoir droit à un procès dans lequel la Justice peut montrer l’étendue de ses compétences. Cela n’enlève évidemment rien aux responsabilités des employeurs mais les « cascades » de sous-traitants dans le Bâtiment conduisent souvent celui qui est en bout de chaîne à travailler vite pour gagner sa croûte pendant que les donneurs d’ordre genre Eiffage s’en tirent toujours à bon compte, surtout si leur couverture financière leur permet d’influer quelque peu sur les prises de décisions judiciaires. Et d’augmenter les moyens de la Justice ne permettrait pas de gommer ce problème.

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